Ne m’appelez plus jamais conte

Comme certains le savent, ce week-end a eu lieu le premier séminaire des conteurs du Théatre de l’Imaginaire Francophone (ou TIF). Et nous avons pris de bonnes décisions de nommage.

J’ai trouvé extrêmement enrichissant ces débats et je voulais vous en transcrire une partie (bien qu’infime). Et donner un point de vue.

Avant propos : pourquoi changer les mots ?

Au sein du TIF, nous sommes aperçus petit à petit que nous voulions définir une nouvelle culture du jeu, qui nous ressemble et sorte des sentiers battus que nous avions fréquenté.

Pour créer une culture différente, j’estime que le premier pas c’est de commencer à user de mots différents. L’usage de certains mots impliquent une mentalité différente. Ce n’est pas pareil, par exemple, d’être un Maître du Jeu ou un Conteur. Si on fait la même chose, nous n’avons pas le même rapport aux joueurs.

Bref, changer de mots pour changer d’air et de monde.

Conteur

Le terme conteur pose plusieurs soucis. D’une part il n’est utilisé essentiellement que par la communauté vampire. Si nous en avons fait un étendard, il participe aussi à l’image d’arrogance que trimbale la communauté, avec cette « mystique » du conteur. Il y a ce coté occulte, mystérieux, un peu perché, qui fait le poste est souvent vu comme « au dessus des joueurs« , une récompense, un statut communautaire élitiste, une autorité…

C’est un point de vue qui cause un certain malaise chez certains d’entre nous.

Et sémantiquement, s’il peut correspondre à du jeu de rôle sur table, le rôle de conteur ne correspond de facto pas à ce qu’on fait pour un GN. Par essence, un conteur est quelqu’un qui raconte l’histoire. En GN, l’histoire, ce sont les joueurs qui la racontent, l’organisateur est là pour les aider à le faire.

A ce titre je me demande à quel point le fait de se nommer conteur n’incite pas certains à penser que de faire du GN se résume à organiser un spectacle entre antagonistes dont le joueur est spectateur. Après tout, la définition du terme s’y prête…

Mais considérer le rôle comme « supérieur » participe à cette arrogance toxique dont nous voulions sortir. Bien sûr, il y a des conteurs humbles, au service de leur joueurs. Mais si le cliché du conteur de vampire arrogant existe, c’est pas forcément immérité. Pire, ce nom participe aussi à cette logique trop fréquente de rapport de force joueur/conteur qui ne profite à personne.

Bref, le mot conteur ne correspond plus à la vision que nous avons de notre rôle. Pire, nous en venions à des notions comme conteur-arbitre, conteur « empowerer » pour définir ce que nous voulions, ou des notions comme conteur-metteur en scène pour définir ce que nous voulions plus. Bref, compliqué.

Organisateur

Après un bon débat sur le rôle du conteur, nous en sommes venus au fait que le terme qui correspondait le mieux restait encore (faute d’un terme idéal) celui d’organisateur, très majoritairement usité dans le reste de la communauté GN. On espère que ça soit le symbole franc d’une normalisation et d’un rapprochement.

Nous voulons être des organisateurs, idéalement bienveillants.

Profitons en pour éclaircir : être un organisateur bienveillant, c’est aussi savoir dire NON à certaines âneries pour le bien du jeu et/ou des joueurs concernés. Être bienveillant, c’est aussi produire un jeu riche en rebondissements pour vos personnages.

Dire oui à tout, faire un jeu aseptisé, ou ce n’est absolument pas bienveillant.  C’est chiant dans le meilleur des cas, néfaste dans les autres.

L’une des autres missions aussi d’un organisateur c’est la neutralité.  D’où la notion d’arbitre entre les joueurs, qui contient cette neutralité. Mais le terme contenait également une dimension sportive de victoire et de perte contraire à nos envies d’un jeu ne tournant pas autour de la victoire ou du gain. La métaphore sportive pour parler du GN ne m’a jamais convaincue.

Concrètement, pour un vampire, perdre son rival est une calamité : contre qui il va passer l’éternité à comploter sinon ? N’oublions pas l’exemple de notre bien-aimé Giangaleazzo de Milan, qui est passé du Sabbat à la Camarilla parce qu’il s’ennuyait et n’avait plus de rival au sein du Sabbat. Finalement les complots et les rivaux étaient meilleurs à la Camarilla. A quoi tient le Jyhad 🙂

Ce souhait de neutralité explique pourquoi nous n’aurons à priori pas (après la fin du test) de conteurs-joueurs. Il est important pour nous que l’organisateur soit neutre. Et on est plusieurs à estimer qu’avec la meilleur volonté du monde il ne peut être neutre quand il joue également au jeu. Il est juge et partie.

Mais je note qu’il faudra qu’on fasse en sorte quand même que nos organisateurs s’amusent à jouer, et aient des moyens immersifs.

Les rôles d’un organisateur

Venons en aux rôles d’un organisateur au TIF que ce changement de nom ébauche. L’organisateur a pour première mission (évidente) d’organiser le jeu. Il est là pour s’assurer que tous les personnages soient écrits, décrits, clairs pour leurs joueurs, que les règles soient disponibles et lisibles etc. L’organisateur est là pour s’assurer que le jeu se fasse dans des conditions convenables.

Cela inclut selon moi, de participer pleinement à l’organisation de la bienveillance. Comme nous en avons discuté, l’organisateur ne pourrait être soumis à une obligation de résultat sur la bienveillance, mais plus à une obligation de moyen. On ne peut pas prévoir qu’une personne refuse d’utiliser les règles de sécurité. On ne peut pas prévoir qu’une personne juge la « qualité de jeu » des autres ou se permette des réflexions blessantes. Bref, on ne peut empêcher de façon systémique les comportements toxiques et malveillants.

En revanche, l’organisateur peut mettre en place des règles de sécurité (safeword, fondu au noir ou d’autres) et des ateliers pour les répéter.  Il maîtrise ses thématiques et sa façon de les aborder. C’est là qu’est son rôle selon moi. Il peut également s’enquérir des sujets pour lesquels il doit prévenir ses joueurs, s’assurer que les background des personnages soient adaptés et la difficulté pensée en fonction d’eux. Il peut proposer un soutien aux joueurs en détresse et prévenir son administration associative des joueurs au comportement toxiques.

Le second rôle, celui que j’affectionne c’est celui de créer de l’autonomie. A GNafron, notre aspiration en tant qu’organisateur c’est de vous donner les moyens de vous éclater, d’emplir l’espace de vos interprétations brillantes, de vous donner les moyens de vous faire plaisir. Cela va par la production d’aides de jeu, la possibilité d’être souffleurs de conseils et de suggestions.

Le terme souffleur est d’ailleurs un terme qui a été très souvent réutilisé au court des échanges et qui nous plait pas mal, tant dans sa dimension théâtrale que dans le fait que nous sommes là « que » pour vous souffler des pistes, à votre service. Il me convient pas à 100% mais je pourrais me laisser tenter.

Dettes et faveurs sont dans un bateau.

Nous avons un constat : en GN vampire les dettes sont trop peu utilisées, alors que ça devrait être le pain quotidien des joueurs. D’où la résurgence d’un jeu mi-dette mi-argent souvent préjudiciable au cadre Camarilla et qui provoque des inflations monétaires étranges.

Premier constat, le terme debt en VO est réservé au Sabbat. C’est ennuyeux quand on joue Camarilla d’utiliser le même terme que le Sabbat, de fait. Debt est la traduction consacrée de Dette.

Et le terme boon utilisé par la Camarilla peut effectivement être traduit par dette, mais il peut aussi être traduit par faveur, aubaine ou même bénédiction. Et la VO utilise aussi le terme Prestations pour la Camarilla (c’est le même mot en VF).

Pire le livre insiste sur le fait que le Sabbat a choisi debt pour ne pas utiliser le terme boon de la Camarilla. Donc on ne peut théoriquement pas utiliser dette pour traduire boon.

Du coup, nous avions décidé de trancher en utilisant ce terme, Faveur et de noter Prestations comme synonyme. C’est plus positif et plus subtil, plus classe. Le terme dette est très négatif et peu incitatif. Utiliser le terme faveur, plus relationnel et plus positif participe à l’ambiance. C’est plus élégant et moins pingre de dire « vous me devrez une faveur majeure » que le très classique « vous me devrez une dette majeure ».

Anciens et Vénérables

La traduction originelle de vampire a créé des glissement sémantiques. En anglais nous avons :

  • Pretending Elder
  • Master Elder
  • Luminary Elder

Ces rangs sont tous les trois inclus dans le statut d’age Elder (Ancien).

Dans l’acceptation française usuelle, nous avions pris pour traduction :

  • Prétendant
  • Ancien
  • Vénérable

Vous noterez un truc : nous avons perdu le mot « elder » à la traduction. Et souvent, la logique de regrouper ces trois termes sous Ancien s’est perdue au fil du temps. D’où des glissements sémantiques qui ont fait que beaucoup considèrent les Vénérables comme étant largement au dessus des anciens et les Prétendants au dessous des anciens, limite ce sont des Ancillae.

Sauf que ce n’est pas ce que disent les règles de Statut de la Camarilla, selon le MET de By Night Studios. Selon ledit MET, ce sont tous les 3 des Elders, des Anciens. Ils ont les mêmes règles, les mêmes droits et c’est uniquement en interne qu’ils font une éventuelle distinction. Nous voulions rétablir cette logique.

Nous avions donc décidé de coller au plus proche de la logique du jeu en VO, en utilisant les termes suivants :

  • Prétendant Ancien
  • Ancien
  • Ancien Illustre

La répétition originelle du terme Elder (Ancien) est respectée. Vous noterez l’effort de respecter le jeu de mot Luminary dans Illustre (Luminary peut vouloir dire vénéré, respecté et un luminaire. Oui une lampe…). Luminary, Lustre. Voilà qui est brillant, ah ah.

Mon seul regret est de ne pas avoir réussi à reprendre le mot master de Master Elder (qu’il faut comprendre non comme Ancien Maître, mais plus comme Ancien Confirmé par opposition au Prétendant Ancien). Mais nous trouvions ces deux traductions insatisfaisantes. Si vous avez mieux à proposer, nous sommes preneurs.

La fin des plots

Le terme plot est très galvaudé et est utilisé pour tout et n’importe quoi. Surtout, il peut signifier intrigue, mais aussi parcelle, lopin de terre ou complot.

D’où parfois un secret assez étouffant entre conteurs défendant leur parcelle. « C’est mon plot, mon complot perso ». C’est une boite un peu fourre-tout, abusée,  un terme utilisé par le monde du cinéma et des séries.

Et c’est un mot américain. Ce serait ironique d’utiliser un mot américain alors qu’on souhaite un jeu plus éloigné du leur. Bref, tout ça fait que ça participe (selon moi) au fait que le conteur se prend parfois pour une espèce de J.J. Abrams ou de Mickael Bay.

Nous avons préféré revenir au terme plus théâtral d’intrigue, qui est plus riche de sens et nous rappelle la littérature, le théâtre. Utiliser un mot d’origine italienne, venu en France justement par le théâtre,  quoi de mieux ? Il n’a plus la notion de lopin et sent moins la théorie du complot.

Notre but d’organisateur n’est pas de créer des complots. Ça c’est le rôle des joueurs. Notre but est de créer des relations compliquées, des situations détonantes, des péripéties et des complexités, bref des intrigues.

Equipe Transverse

Le fait d’avoir une « équipe de conte nationale » ou un « conteur national »  est une organisation classique de Mind’s Eye Society, dont les associations fédérales nationales de la plupart des pays ont hérité.

Et ça créait un soucis très franco-français. Dans notre beau pays, cela véhicule le fait que le national est supérieur au local, qu’il dirige. C’est le centralisme parisien bonapartiste classique.

Sauf que nous ne voulons pas fonctionner ainsi. A titre personnel, toute mon expérience associative que ma culture historique me prouvent que ce centralisme repose sur une violence autoritaire néfaste et souvent la confiscation du pouvoir par des extrêmes.

Et même sans aller jusque là, ça peut créer des choses comme le fait qu’un joueur dépende de plusieurs autorités (locales et nationales) ayant chacune leur vision des choses. Et lorsque ces visions s’opposent, c’est rarement en faveur des joueurs.

Qu’est ce qui importe ? Que cette équipe relie les différentes équipes locales, non en supérieure, mais en tant que lien horizontal.

D’où un terme que nous avions choisi il y a plusieurs mois, « équipe transverse » qui redéfinit ce rapport relationnel et des missions redéfinies pour être réellement transverses. Ce qui m’importait, c’est qu’un joueur ne dépende que de son conte local, qui le connaît.

Acteurs et Troupes

Tout ça pour en venir au changement que nous avions fait au début de la fondation du TIF. Il n’y a pas de membres affiliés ou associés au TIF, pas même des bénévoles. Il y a des acteurs : joueurs et organisateurs.

Parce que nous sommes tous acteurs du jeu, acteurs de la réussite de l’association. Nous en sommes tous participants. C’est un moyen de mettre en valeur notre plus importante richesse : nos joueurs.

Enfin l’usage du mot troupe pour les associations, c’est encore un moyen de nous rappeler que nous sommes tous ensemble dans le même projet narratif et que chaque troupe peut avoir son projet (sa pièce). Dans une troupe, chacun peut avoir son rôle, sa particularité ; bref nous sommes une troupe, nous ne sommes pas n’importe quelle association. Je kiffe ce mot.

Nous avons une visée artistique et narrative, une visée de solidarité aussi. C’est le terme que propose White Wolf depuis des années et il nous convient.

Acteurs et troupes, c’est aussi encore une fois la volonté de nous rapprocher du Théatre, vous savez ce mot final dans Mind’s Eye Theatre.

Conclusion : ça ne suffit pas.

Changer les mots, c’est seulement la première étape pour changer les mentalités. C’est important, symbolique, mais il faut également repenser en profondeur le jeu.

Dire « le jeu aux joueurs » c’est bien. Mettre des actes pour le faire (comme limiter voire virer les PNJs, nos zombis du quotidien) pour faire que ça soit autre chose que des mots nous semble important.

Pour pouvoir dire que « ça doit rester qu’un jeu », nous voulons assumer la remise en question du jeu 24/24 et le déploiement de la sécurité émotionnelle des joueurs.

Pour pouvoir affirmer « l’important c’est l’immersion dans un personnage et pas les points d’xp » nous nous devions de remettre en cause le fonctionnement de l’expérience.

Bref, les mots seuls ne suffisent pas si on veut dépasser la portée symbolique. Ce sont les actes et les logiques qui permettent de mettre ces mots en cohérence, de créer la mentalité qu’on appelle de nos vœux.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *