Nous avons assisté ces derniers jours à une polémique. Dans des groupes facebook, tout un drama est parti de la fameuse X-Card (une mécanique sympa utilisée par certains rolistes sur table pour gérer leur sécurité émotionnelle). Et ça fait écho à certaines remarques en GN.
D’où article totalement subjectif où je donne mon avis personnel (et non celui de GNafron).
Certains ont reproché que le JDR « devienne » politique. Que le JDR pousse un « agenda politique ». Le débat est devenu âpre, voir violent. Des groupes ont été quittés, ça s’accuse de SJW-isme, des gens bannis, des groupes ont été créés. Il y a même un groupe de discussion où le sujet est interdit et passible de bannissement (sic). Ca va loin.
Bref ça a fait des vaguelettes dans le landernau rôliste. On peut d’ailleurs trouver des articles très pertinents sur le sujet (genre ici).
« Faire de la politique ». C’est une remarque qu’on a parfois eu à GNafron pour avoir fortement promu la sécurité émotionnelle en GN. Et je la trouve sans fondement.
Toute oeuvre est politique
A partir du moment où nous faisons une oeuvre humaine, il y a une part de politique. Quand on fait un D&D, avec sa part de racialisme (et/ou d’essentialisation) et de féodalité, il y a par exemple forcément un vieux fond politique.
Et pourtant on ne parle que de tuer des monstres dans un donjon. Mais en considérant qu’un gobelin est forcément un monstre par exemple, on fait un choix politique, on donne une vision du monde et de nous même. Je ne rejette pas ce style de jeu : j’ai commencé avec Warhammer JDRF et ce fut une expérience que j’ai adorée.
Mais soyons clair : il n’est pas possible de faire une oeuvre absolument extraite de la politique. Même un huis clos intimiste donne une vision du monde ou de l’humanité, donc de la politique.
Qu’on le veuille ou non, que ça soit le centre ou non, dans tout JDR ou GN il y a forcément une vision politique, un propos. Il est forcément subjectif, parce qu’écrit par un humain.
Par essence, le JDR et le GN ont un sens politique.
De plus en promouvant la coopération, l’immersion, l’échange et l’imaginations, nos média portent un message politique fort de sens. Il est impossible de s’extraire de ces considérations.
Mais même au delà de ça, nos univers de jeu sont politiques. Parfois, comme dans Post Mortem, INS/MV ou Vampire, il y a une critique humoristique, voire glacée de notre monde. Parfois c’est léger et discret, parfois c’est présent et central. Mais toute oeuvre rôliste est forcément liée à des choix politiques. Même le fait de traiter ou non ces thématiques est politique.
Bref, le JDR apolitique n’existe pas.
J’irai même jusqu’à dire que tout est politique. Mais on sort là du champ du JDR et du GN, donc je vais m’épargner une digression.
La sécurité émotionnelle en question
Comme le rappelle très bien Axelle Bouet sur un post facebook, la X-Card n’est qu’un outil. Il n’est pas politique, cet outil. Un marteau n’est pas un objet politique. Les Safewords ou les mécaniques de sécurités ne sont pas des objets politiques mais des outils.
Finalement, en critiquant la « politique », ce qu’on reproche à ces rôlistes promouvant la X-Card, c’est de vouloir introduire une notion fondamentale supplémentaire dans le jdr : la bienveillance.
Et comme il est difficile de lutter contre une telle notion, on préfère lui prêter des habits et la décrire comme étant « politique ». Comme si la défense du statut quo et des usages précédents, le conservatisme, était apolitique ? Qui reprocherai aujourd’hui à Risk ou à Monopoly d’avoir un message politique ? En quoi c’est grave de faire de la politique ?
Tout jeu (que ça soit un jdr ou un gn) repose sur un contrat social, cette notion à la fois fondamentale mais galvaudée. C’est pour ça qu’il est politique. Ce contrat peut varier et il ne repose que sur un fondement universel : une confiance tacite, mutuelle et réciproque.
L’introduction d’une dose de bienveillance en supplément remet en cause certains préceptes anciens – et que j’estime datés – dont on s’est servi pour bâtir la confiance.
Comme le fait que le MJ / conteur / orga serait au dessus des joueurs. Dans un monde bienveillant, personne n’est au dessus de personne, et l’orga et les joueurs sont co-auteurs du résultat.
Dis papy, pourquoi tu tousses ?
Ce que disent ces gens là, c’est un peu « ne remettez pas en cause mon autorité de meujeu », « ne changez pas mon contrat social » ou « ne changez pas mes habitudes ».
Pourquoi ces gens râlent-ils ? Parce qu’ils savent qu’ils ont déjà perdu – à mon humble avis : la bienveillance est une valeur si forte qu’elle va gagner. Leur pratique est ringardisée, et ils s’en inquiètent.
Et comme on voit le grand public gronder « qu’on peut plus rien dire » parce que les blagues racistes sont enfin considérées racistes, et bien certains rolistes vont dire « qu’on peut plus rien faire », parce que leur pratique est mise en doute.
Sauf que dans les deux cas, un tel propos dessert leur point de vue. La société et les usages en société évoluent forcément, avec ou sans vous. Libre à vous de soit accompagner ces changements, ou les subir.
Sauf que …
Qu’il y ai un outil en plus n’oblige personne à l’utiliser.
La X-Card est un outil pour gérer les difficultés émotionnelles en JDR. Libre à tout meujeu de s’en passer s’il le souhaite. Libre à tout joueur de ne pas utiliser la mécanique de la X-Card même si le meujeu la propose.
Après tout effectivement, dans D&D ça n’a pas forcément d’intérêt. Ceci étant, dans certaines parties que j’ai fait, où l’humour était uniquement basé sur le « viol lol » j’aurai bien aimé disposer d’un moyen de signaler au meujeu que ce n’était pas drôle, mais malaisant.
La police du jdr n’existe pas
Personne ne met le couteau sous la gorge à qui que ce soit pour forcer l’usage de ces mécaniques. Et pour cause, on n’impose pas la bienveillance à coup de latte, ça n’aurait aucun sens. Il va de soit que personne ne va vérifier comment vous jouez avec vos potes entre la chips et la bière.
Juste, certains ont trouvé ces outils utiles et efficaces, et du coup les partagent, quoi de mal à ça ? Si nous ne sommes pas là pour partager de bonnes pratiques, à quoi servons nous en tant que communauté ?
C’est strictement pareil pour les safeword : libre à chaque équipe d’orgas de savoir s’ils veulent les utiliser ou non. Dans certains types de GNs, les safewords sont probablement inutiles, dans d’autres ils sont vraiment très pratiques. L’important c’est de connaitre l’outil pour savoir si un jour on en a besoin.
Creusons un peu..
En fait je pense que les remarques sur la X-Card et sur les safeword (et autres) reviennent au même.
Certains s’inquiètent de devoir prendre en compte les sentiments et émotions de leurs joueurs, de devoir agir et penser avec un peu plus de bienveillance. Oui, nous sommes dans une société, se soucier de respecter l’intégrité de l’autre devient une notion importante.
J’irai même jusqu’à affirmer que c’est une étape nécessaire et critique de notre histoire du JDR et du GN. Afin de toucher le grand public, de le convaincre et de le sécuriser, nous avons la nécessité de prévoir des outils en ce sens.
Lorsque le GN et le jdr sont nés (fin 70-80), il n’existait aucune théorisation de notre média. Des mots comme bleed, porosité (ou pervasivité) n’existaient pas. Le GNS n’avait pas été inventé puis décrié. Il est normal que ces concepts nouveaux apportent des outils nouveaux, petit à petit.
Dans les pays nordiques, où le GN est une pratique intégrée, acceptée, les safeword sont bien plus répandus que chez nous. Plus nous intégrerons de logique de sécurité physique et émotionnelle, plus nous ferons en sorte que le grand public nous accepte.
C’est un passage que nous n’avons pas su faire dans les années 90. Le JDR (et le GN) n’ont pas su prouver leur sécurité en France, face à des affaires montées en épingle. Résultat battage médiatique, emballement, et j’en passe. On est passé (selon mes sources au doigt mouillé) de 400.000 rolistes à 40.000.
C’est comme par hasard ces dernières années que nous sommes revenus à 400.000. Ca semble être le stade difficile du passage à la maturité et au grand public en France.
Avec des œuvres comme Stranger Things, et plein d’autres, le JDR et le GN ont le vent dans le dos. C’est redevenu cool… Profitons en ! Vainquons ensemble le plafond de verre du grand public.
Pour résumer
Je crois que la diffusion de ces outils et de la bienveillance soit une étape nécessaire de notre réintégration publique.
Certains pourront affirmer le contraire, et que c’est une régression. Admettons.
Comme on dit dans mes cercles d’organisateurs « Contrast is better that critic ». Que chacun fasse le GN ou le JDR qui lui semble être l’avenir, et laissons les joueurs comparer et décider des usages qui s’imposent.
Vous avez mieux à proposer que la x-card ? Faites, montrez, prouvez. Le JDR y gagnera. Vous avez mieux à proposer que les safeword ? Faites, montrez, prouvez. Le GN y gagnera.
Voilà la façon de trancher ce débat : une sorte de « que le meilleur gagne » sur l’évolution de nos médias préférés. Râler et injectiver sur facebook, se troller avec plus ou moins d’agressivité, ça ne fait gagner personne. Ça ne fait que diviser la communauté.
A titre personnel, je crois en la bienveillance. Je suis même persuadé qu’après le GN, la bienveillance transcendra petit à petit les autres milieux pour s’imposer dans le débat public.
Alors contrastez ! Prouvez moi que j’ai tord.
je suis arrivé la via le lien vers mon article de fond sur les « affaires » de carpentras and co.
Quelques remarques / contributions
1/ Au vu de comment s’est fabriqué la « panique morale » dans les 90s, Je ne pense pas que le « probleme » soit que le JDR n’ai pas su prouver qu’il était « sans danger » pour les participants. Pour commencer, parceque ceux qui fabriquaient cette panique, et ceux a qui elle s’adressait ne jouaient pas et n’avait aucune connaissance concrete du JDR.
2/ J’ai noté aussi dans l’article que, on va dire « paradoxalement », le coté sulfureux (insufflé par les média, mais aussi souvent entretenu par l’entre soi des joueurs) a renforcé l’attraction pour certains. Il ne faut pas oublier la réalité de la démographique des joueurs de l’époque (des jeunes hommes à plus de 90 %). Cette pratique est un support identitaire dans les 80-90s, et en particulier de la construction d’identité de genre. Dans ce contexte, la X card est totalement déplacée (ce qui explique aussi qu’elle parait plus tard)
3/ La X-card est une façon d’objectiviser les relations à replacer dans le cadre plus large de la culture américaine. Comme pour la question des relations hommes-femme, de la drague, etc…une culture « puritaine » si tu veux qui pousse la rationalité a fond et essaie d’effacer les zones grises. Or, cet impérialisme culturel, en cours, rencontre des resistances dans d’autres aires culturelles (dont la notre) Donc les réactions ne sont pas étonnantes
4/ Ce n’est utile que dans une certaine conception du JDR, ou l’on aborde certains themes. Si tu es dans une optique JDR-action a la blockbuster, le probleme ne se pose pratiquement pas (pas besoin de X-card dans piege de Cristal). Donc c’est aussi un dialogue de sourds a ce niveau la
5/ La bienveillance…ah….ce qui est marrant, c’est que le terme meme, a mon avis, connait une mode qui doit beaucoup aux institutions…qui elles memes sont à la locomotive des « mises en agenda » aux USA. Pour l’anecdote, quand je débutais comme prof, un supérieur me félicita pour ma « bienveillance ». Je l’ai pris comme une qualité personnelle, j’étais content. Le lendemain, a une formation, on nous a tartiné de la Bienveillance….et le jour d’apres, j’ai entendu d’autres profs utiliser le mot. En fait, il est inscrit au fronton des politiques publiques. Personnellement, je trouve ca un peu consternant, car il n’a pas de contenu opératoire. A moins de considérer qu’elle « Malveillant » soit une alternative…
Et ben, je pense que si nous avions eu ces outils à l’époque, nous aurions été bien mieux armés pour répondre à cette panique. Après, il ne s’agit pas de lancer la pierre aux joueurs de l’époque (dont j’ai fait parti sur la fin des années 90). Juste je me demande si concrètement, le passage vers le grand public ne requiert part qu’on se pose ces questions de sécurité. Genre c’est un passage obligé.
Factuellement, je n’ai pas ressenti ça dans les années 90. Est ce que tu as des chiffres pour appuyer cette explication, ou s’agit-il d’un ressenti ?
Sauf que la bienveillance, dans son ensemble, ne vient absolument pas de la culture roliste américaine, qui est au contraire majoritairement hostile.
La culture américaine n’a pas encore intégré la notion de bienveillance. C’est un concept qui vient bien davantage d’autres cultures (jdr nordique) et d’autres groupes (comme le BDSM). Dire que c’est issu d’une culture puritaine, est pour moi un contre-sens total. Une culture puritaine censure. Je peux te dire pour avoir fait des jeux nordiques que la censure y est inexistante, mais les gens sont prévenus avant des thématiques abordées, il y a des moyens de se protéger quand une thématique ne nous plait pas. Ca n’a vraiment rien à voir avec du puritanisme.
Ce qu’a fait l’auteur de x-card, ce n’est qu’appliquer au JDR ce qui existe en GN nordique depuis près de 20 ans. Si impérialisme il y a, pour le coup, il faut plus le chercher du coté Suédois / Danois / Finlandais / Norvégien. Dire que ca vient des américains est factuellement absolument faux.
Je pense d’ailleurs que ça pollue le débat, certains partant du principe que c’est américain donc mauvais. Sauf que non, c’est aussi américain que toi ou moi.
C’est ce que j’essaye de dire quand j’insiste sur le fait qu’il y ai des pratiques de JDR. Ce n’est pas pareil de faire un jeu action-fun à la D&D que de faire un jeu basé sur émotionnel. Tout ce que je dis, c’est qu’il y a des outils, et de savoir quand les utiliser.
Il ne faut pas confondre un concept (noble) avec la bêtise qu’en fond nos politiciens, qui salissent tout. Ils salissent aussi l’égalité et la liberté quand ça les arrange.
J’assiste également à ce même glissement de sens et cette récupération politique, particulièrement chez En Marche, et elle me dégoûte, dans le sens où les politiques mises en oeuvre sont (dans le meilleur des cas) à bienveillance variable. On est bienveillant avec le fort, méprisant avec le faible. C’est une perversion assez violente de l’idée de base selon moi.
Dans les visions que j’ai vues de la bienveillance EN GN, il y a notamment les idées suivantes :
– C’est ok de ressentir des émotions durant le jeu, c’est ok de ne pas en ressentir.
– La sécurité de chacun est l’affaire de tous.
– Chacun doit être libre de s’exclure d’une thématique qui lui fait du mal, et nul ne peut l’en juger, ni le forcer.
– Les contacts même les plus violents sont autorisés, tant qu’ils sont consensuels.
C’est un type de jeu où personne n’est fautif, où il n’y a pas de jugement de valeur, où le plaisir et de création partagée est une notion essentielle.
Pour comprendre ce qu’est réellement le jeu bienveillant, je t’invite à te référer à cet article :
https://www.gnafron.org/blog/2017/11/14/vers-jeu-adulte-bienveillant/
Qui fait suite à ce dernier :
https://www.gnafron.org/blog/2017/11/10/vers-jeu-bienveillant/
Et quand bien même l’auteur de la X-Card est américain, dire que « c’est puritain et impérialiste parce qu’il est américain » me semble procéder d’un raccourci sans fondement. Ca manque de preuve.
Condamner une idée parce qu’issue d’un américain, c’est quelque chose que nous rôlistes devrions sensiblement éviter selon moi.
Très bel article , bien documenté… Pas comme mes élucubrations de comptoir. J’ai franchement honte que tu me cites 😅
Tu as très bien fait de rappeler l’avance considerable qu’a le GN sous l’impulsion nordique dans le domaine de la sécurité affective. Le « petit frère » du jeu sur table s’est posé les bonnes questions depuis un moment et c’est lui qui montre la voie. Le pire, c’est que j’aurais pu l’évoquer car cette réflexion a été apportée par les joueurs de murder party dans notre association. Mais après tout cela reste cohérent : l’implication émotionnelle est bien plus profonde dans le jeu grandeur nature (par l’immersion mentale et physique) donc il était évident que cette problématique aurait un écho plus puissant et plus précoce.