Récemment j’ai lu cet article de neurologie grâce à un autre fan du World of Darkness, Matthew Webb:
http://static1.1.sqspcdn.com/static/f/588791/11840961/1303404064243/Rillingetal_neuroimage04.pdf
Qu’est ce qu’on y apprend ? Que l’injustice est mieux acceptée lorsqu’elle est générée par un ordinateur que par un humain.
Des hommes, comme vous et moi ont été soumis à des échanges. Certains étaient justes (typiquement : une répartition de gains à 50/50), d’autres injustes (1 pour toi, 99 pour moi. Désolé).
Et ce qu’ils ont pu observer est intéressant : lorsque les deals sont injustes, les réactions sont bien moins violentes pour l’homme si la proposition injuste est faite par un ordinateur, plutôt que par un humain.
Le système a beau être injuste, il ne génère pas la même agressivité. Les centres du cerveaux qui gèrent la dominance et la rétribution ne s’activent pas autant.
Tout ça m’a fait réfléchir sur notre beau média qu’est le jeu de rôle.
Le hasard est notre meilleur ennemi
Il génère de l’injustice, des moments d’échec et de réussite, de la tension narrative : vais-je y arriver ? Vais-je mourir ? Le hasard est un allié du narrateur du jeu de rôle, un ennemi impitoyable pour les acteurs du drame.
Par extension de cette étude, j’ai envie de supposer que le joueur ressentira moins de frustration lorsque l’injustice et le hasard sont générés par un objet inanimé, sans volonté propre.
Alors certes, je le sais, le hasard, on a tendance à le fuir dans les jeux de cartes (et si possible dans les jeux de figurines, bien qu’il y soit souvent très dominant, notamment chez Games Workshop).
Le hasard perturbe la prédictibilité et les pro-gamers le fuient (au point que certains vomissent Hearthstone juste parce qu’il contient beaucoup de hasard).
Pour autant ce qui rend une partie de Hearthstone mémorable, c’est le fait qu’on peut gagner sur le fil, avec un peu de chance, et un deck moins bon.
Ou perdre avec un excellent deck parce que le hasard n’est pas de votre coté.
En matière de narration et de tension, le hasard est utile ; et je serai d’avis de toute façon de NE PAS écouter les gens dans une optique « pro-gamers ». Mais ça n’engage que moi, je n’ai pas la même optique de jeu qu’eux, l’optimisation me consterne plus qu’elle ne m’amuse. Ma vision du jeu de rôle n’inclue pas de nécessité d’optimisation, mais une nécessité ludique et narrative et qui va à l’encontre de l’optimisation.
N’avez vous jamais connu une situation banale (« je crochète la porte ») qui dérape (« alors bon, j’essaye de l’enfoncer, pendant que vous retenez la police ? ») et finit en histoire mémorable, parce que le hasard s’est mis entre les roues des joueurs ?
Rassurez-vous, je ne reviendrai pas sur ce que je disais : tuer les joueurs par un hasard improbable, mourir en trébuchant sur un caillou, c’est assez lamentable et indigne d’un bon MJ. Pour autant le hasard est une porte narrative parfois amusante et stressante, tant en GN qu’en JDR sur table.
Je sais que la mode est au « sans dé » au « sans système » (ce qui en soit est discutable : no system IS a system) et se pose alors la question de l’injustice et du hasard.
Un plan sans accroc
Nous avons besoin de cette injustice, de ces événements qui font dérailler nos « plans qui se déroulent sans accrocs ». Sinon le jeu peut aisément devenir chiant.
(A ce titre, je vous invite à analyser l’Agence Tout Risque, un véritable JDR en lui-même avec cette équipe de spécialistes qui reçoivent des missions de PNJs lambda, font un plan génial, qui manque d’échouer à cause d’un manque de bol, mais ils y arrivent quand même parce qu’ils sont trop forts.
Ce qui les rend héroïques, c’est leur capacité surhumaine à surmonter l’adversité toujours contre eux. De nombreux schéma narratifs de séries (FX – Effet spéciaux, voire Code Quantum) reposent sur la même logique.
Sérieux l’Agence Tous Risques, c’est une partie de Shadowrun un peu adaptée ce truc…)
Le hasard est une difficulté intrinsèque à digérer pour le joueur, et à chérir pour le MJ.
Gérer la frustration
Si le MJ vous dit (sans jet de dé ni rien) de temps en temps « tu rates » vous allez trouver ça injuste. « Hey, mais ca fait dix fois que je réussis, pourquoi tu me fais ça ? »
Vous aller lever les bras au ciel et maudire Dieu/Le MJ/Dame destin/La fatalité. Vous savez, ce cliché là :
Nous avons une difficulté très humaine avec l’injustice. Nous aimons la blâmer sur quelqu’un, pour éviter de la faire reposer sur nous-même. La remise en question (nécessaire ou non) est un processus mental douloureux et hasardeux, la plupart des gens ne l’aiment pas.
Il est plus facile de se dire « c’est la faute du MJ, ce salaud » plutôt que de penser « j’aurai peut-être pas du autant spammer cette compétence » ou « mon idée était pourrie ».
Le dé est là un bouc émissaire assumé du MJ : si vous laissez le choix de la réussite (ou de l’échec) de l’action au dé, plutôt qu’à vous, ça sera à ce petit bout de plastique d’assumer de gérer la frustration du joueur.
Le dé comme défouloir
Pire : il vous autorise à être encore plus vicieux.
Imaginez que je change arbitrairement la difficulté du jet, sur un prétexte bidon (« il y a beaucoup de bruit, tu es perturbé, tu dois faire 19 ou 20 sur ton D20 pour réussir ») que pensez que le joueur échouant va faire ?
Maudire le salaud de MJ qui lui a fait un tour pendable et rendu le jet impossible ? Ou maudire le bout de plastique qui est finalement le seul responsable de ne pas avoir fait 19 ou 20 ?
Par expérience, le second est bien plus fréquent.
Donc, certes, les dés ne servent pas qu’à faire du bruit derrière mon paravent de MJ. Pas plus qu’ils ne me servent à me donner une constance le temps d’improviser la suite, comme l’affirme ma moitié.
Ils servent aussi à gérer la frustration des joueurs, tout en générant une histoire pleine de rebondissements. Ils sont un moyen de s’assurer que dans l’idée de vous faire réussir de justesse des tâches difficiles, les mots « de justesse » et « difficiles » ne soient pas oubliés 🙂
Never over do it
Le hasard peut amener des situations sympa. Mais trop de hasard confine au débile. Si votre personnage est un grand physicien nucléaire, il n’a probablement pas besoin de vérifier s’il comprend une équation physique de base.
Personne n’aime voir le flux de l’histoire haché par des jets intempestifs et inutiles. C’est aussi simple que ça : n’abusez pas du hasard.
C’est là finalement que repose la seconde injustice du MJ : c’est encore lui qui décide si le test a lieu ou non : il peut refuser le test s’il estime que c’est impossible, il peut le valider sans jet s’il estime que c’est obligatoirement réussi, il peut bidouiller la difficulté.
Même si le dé est là, finalement, le MJ garde la maîtrise du jeu et de son flux narratif. Ami joueur, ne martyrisez jamais vos pauvres dés, préférez regarder avec méfiance cet être vil derrière son paravent en carton.
En conclusion
Bien que je reconnaisse avec malice (et mauvaise foi) que beaucoup de MJs d’Ambre (jeu sans dé) réussissent le tour de force d’être plus pédants que ceux du Monde des Ténèbres – ce qui n’est pas une mince affaire – je ne pense pas qu’il faille crier à la « mort » des jeux sans dé.
Il faut juste se rappeler qu’un jeu sans système n’existe pas, et qu’un jeu sans dé, s’il veut plaire aux ludistes tel que moi, doit gérer les notions de difficulté, de hasard et de frustration.
Cela peut être géré narrativement (par des système de négociation) ou par des boucs-émissaire du hasard différents (usuellement à base de cartes).
Quoi qu’il en soit, un bon système sans dé est souvent plus difficile à faire qu’un mauvais système avec dé. Si le second ne nécessite « que » des notions de mathématiques des probabilités, le second nécessite en réalité bien plus de finesse psychologique dans l’improvisation régulière.
Tout ça pour en venir finalement à une seconde déduction : votre rôle, ami MJ, n’est pas universel. Vous n’avez pas forcément les mêmes pouvoirs et attributions suivant le jeu. Votre rôle dépend pour une part essentielle, du système que vous mettez en place dans le jeu. La relation que vous entretenez avec les joueurs, le niveau de frustration et de négociation que vous devez gérer, la façon d’amener la tension narrative, dépendent intrinsèquement du jeu.
Je termine enfin en vous recommandant un article (qui n’a rien à voir avec la choucroute, à part que l’auteure a un nom de famille que je ne peux qu’apprécier, et une réflexion que je partage) : http://www.psychee.org/blog/gns-lns-theorie-du-jeu-de-role-et-cases-a-la-con/
Une réflexion sur « En défense des dés et du hasard »