Vers un jeu adulte et bienveillant

Alors, tout d’abord, nous souhaitons vous remercier : notre article de la dernière fois est déjà le plus lu de ce blog. Vous êtes plus d’un millier à avoir réagi sur facebook, et plusieurs centaines à avoir lu l’article. C’est juste dingue !

Nous en sommes vraiment honorés.  Nous avons reçu des réactions intéressantes sur facebook et nous souhaitons réagir.

L’essentiel se résume à : « Est ce que vous ne nous proposez pas un jeu “de bisounours” ?

En fait on commence à penser à GNafron qu’un jeu “adulte” mérite, voire nécessite, un jeu bienveillant.

On s’en explique dans le présent article.

Comme promis je dédicace cet article à Caro, qui se reconnaîtra. Et je ferai exprès qu’il soit long, rien que pour elle.  😉

Le jeu bienveillant limite les actions ?

Et bien… nous considérons que c’est…

Je kiffe cette image

Mais ne nous croyez pas sur parole.  On va vous expliquer notre point de vue.

L’une de nos orga est allée récemment sur un GN Nordique. Nous ne vous spoilerons ni l’histoire, ni les personnages de ce fabuleux GN (qu’on vous recommande si vous êtes quelqu’un de mature, c’est une oeuvre très réussie). Mais ce GN était vraiment dur sur ses thématiques : des morts, des viols en jeu, du sado-masochisme, de l’inceste, des poisons, du suicide, des aphrodisiaques, des drogues, de la prostitution. Les thématiques sont abominables et allaient vraiment loin. Il n’y avait quasiment aucune limite au jeu des joueurs.

Pour autant, il n’y a pas eu (à ma connaissance) de gens en Position Latérale de Sécurité à la fin du GN. Pourquoi ? Comment ? Tout simplement parce qu’il y avait une équipe résolument bienveillante, un système de jeu simple et bienveillant.

Exemple vécu #1

A un moment, l’une de nos organisatrices, joueuse sur un GN, a voulu jeter un verre de champagne au visage d’une autre joueuse. Parce que leurs personnages étaient en conflit. Elles ont fait un aparté de deux secondes, ont convenu de la chose, et ont pu lancer la scène. Ca a pris quelques secondes et ça a lancé une scène mémorable.

Notre analyse : un jeu avec une notion de consentement permet de faire des choses qu’on ne se permettrait pas sinon, parce qu’on sait que l’autre joueur est d’accord pour les faire, les vivre.

Exemple vécu #2

Cela s’est retrouvé aussi pour un autre de nos orgas sur son dernier gros GN. Sur la première scène, plusieurs coups furent échangés entre des pj riches, et les joueurs prolo qu’ils … ahem… avaient virés de chez eux pour construire des hôtels de luxe.

En aparté, un des joueurs prolo a demandé s’il pouvait faire semblant de frapper un des joueurs de l’autre groupe. Ce dernier a accepté en lui disant “alors juste va un peu lentement, et ne tape pas sur ma jambe, elle est fragile”. Résultat ils ont mimé la scène, ça a posé le ton du conflit et sa violence pour les minutes qui ont suivi

Notre analyse : un jeu avec une notion de consentement permet des contacts physiques violents EJ mais consensuels HJ sans avoir d’incertitude sur l’état physique et mental de l’autre. Il permet de connaître ses limites.

Ce qu’on peut retirer globalement de ces exemples, c’est que le jeu bienveillant, permet d’explorer des actions, sans problème vis à vis de l’autre joueur.

Jeu bienveillant = Jeu bisounours ?

Vous aimez les running gags ?

C’est le truc qu’on a le plus souvent entendu comme critique, et elle nous semble totalement inexacte.

Clairement, le meilleur moyen de vous rendre compte que c’est faux, c’est d’aller faire un vrai bon GN Nordique (comme ceux de PDA). Mais néanmoins on peut vous donner quelques exemples vécus.

Exemple vécu #3

Dans un autre GN, il y a un type qui était menacé. Par l’usage d’un safeword, il a fait comprendre à ses geôliers qu’il pouvait aller plus loin dans le délire. Ils ont accepté, et ont décidé de faire ensemble une fausse scène de torture. Tout le monde savait que le joueur était ok, et que s’il était mal à l’aise, il y avait moyen de corriger le tir.

Notre interprétation : le jeu bienveillant, par l’usage de safeword permet d’utiliser des thématiques crades (comme la torture) de façon détaillée, même avec des inconnus, puisqu’on a un langage commun pour s’avertir et savoir s’arrêter.

Exemple vécu #4

Des joueurs essayent de faire boire de force un médicament/poison à une autre joueuse. La scène était très impressionnante : ils la tenaient, elle hurlait, criait, pleurait de vraies larmes… Mais la joueuse avait absolument toute latitude pour dire et signaler qu’elle souhaitait arrêter, chacun savait que tout le monde était en sécurité, que c’était du jeu. C’est une scène absolument horrible dans la vie réelle, mais qui était faite là en plein consentement des joueurs. Il aurait suffi qu’un seul prononce un safeword pour que tout se calme.

Notre interprétation : le jeu bienveillant permet des formes de violences extrêmement fortes, en sécurité tant pour les “victimes EJ” (qui peuvent prévenir si ça va pas) que pour les “bourreaux EJ” qui pourraient, étrangement, ne pas se sentir à l’aise HJ à l’idée de réaliser des actes immoraux. J’aurais également pu parler des scènes de viol, pour cet exemple.

On parle de viol, d’actes forcés, de torture. Vous trouvez ça bisounours ? Vraiment ?

Jeu bienveillant = jeu castré

Oui il faut que j’arrête avec cette image.

Tous ces exemples nous font dire qu’un jeu bienveillant, n’est pas castré. Les joueurs sont allés très loin dans leurs actes. Ce sont des choses impensables en GN classique.

En GN bienveillant, le safeword ne vous demande pas de stopper votre jeu, juste de vous assurer de le faire en collaboration avec l’autre, et de moduler l’amplitude de réaction en fonction de lui. La logique de consentement ne vous interdit pas de jouer, mais de prévoir l’autre dans votre jeu, d’être collaboratif.

En gros : on ne vous demande pas de ne pas rentrer dans le lard de l’autre joueur, on vous demande juste d’adapter votre réponse en fonction de lui.

Ce qu’on fait en GN “classique”, habituellement c’est interdire certaines thématiques (souvent inconsciemment, parfois avec une vraie liste vraie de vraie, disant “alors le viol c’est non, la mort c’est ok, la torture et l’amputation c’est ok, mais le kidnapping d’enfant non…” oui, c’est du déjà vu).  Sans vouloir pointer du doigt j’ai même vu des cas où une grosse dizaine d’assos jouent ensemble, mais sont pas d’accord entre elles sur les thématiques acceptables. D’où des engueulades régulières sur le sujet.

Résumons…

GN Bienveillant : tu peux explorer toutes les thématiques, mais tu dois moduler ta réaction (via notamment les safeword et le consentement) si l’autre te le demande, ou mieux préventivement.

Gn “Classique” : on ne peut pas explorer certaines thématiques, mais celles qu’on explore on le fait sans filet, et sans se soucier de l’autre. Parfois, la liste des thématiques explorables n’est pas claire ou consensuelle. Et du coup on évite intuitivement les thématiques qu’on pense qui vont choquer l’autre (ou alors on fait ce qu’on veut sans se soucier d’autrui).

Question : Entre ces deux types de jeu, à votre avis, quel type de jeu est le plus castré ?

Question bonus : Quel type est le plus générateur de souffrances  pour les joueurs ?

Ah, et croyez nous, oui, il y a vraiment des gens pour affirmer que les safeword c’est pour les fragiles, et souhaitent voir interdire toute une série de thématiques qui les gênent eux. Ce sont de vilains fragiles qui s’assument pas alors ?

Safeword = Bris d’immersion ?!

Promis j’arrête quand je veux !

Nous savons que l’usage le plus courant c’est les safewords disons “francs” ou “clairs” (type break/cut/go). On a notamment essayé cette mécanique lors du GN Sabbat. Mais on a appris depuis, et vu d’autres choses.

De plus en plus dans les GN nordiques récents, les safeword sont des mots-clefs à intégrer à son discours, liés à la thématique du jeu. C’est des mots qui peuvent être glissés innocemment dans une conversation. C’est fluide et élégant. Et il n’y a aucun risque de bris d’immersion.

Reste l’autre mécanique la plus fréquente en GN bienveillant : le consentement. Le fait que ça brise ou non l’immersion est laissé à l’appréciation de chacun, mais on comprend qu’il ne faille pas abuser dessus. Ce qu’on conseille, c’est de l’utiliser pour les cas critiques (en particulier de contact physique).

En revanche il est fréquent que deux GNistes discutent avant la partie de ce qu’ils voudraient y faire ensemble. Du type « j’aimerais bien que ton personnage me jette un truc au visage à la fin de cette soirée ». Si c’est fait avant, sans bris d’immersion, ça marche aussi.

Et pis bon, une partie des gens nous parlant de bris d’immersion utilisent des balles en plastique pour faire leur sorts, ou font des combats à Pierre-Feuille-Ciseaux. Donc on veut parler d’immersion, really ? ;o)

Jeu adulte = Jeu à palette

VRAI §!!§§§!

Plus sérieusement… Par effet de bord le jeu bienveillant permet d’explorer une palette d’émotions et de réactions.

Imaginons sur un jeu “classique”, il se passe quelque chose, vous allez réagir comme vous l’entendez, et point.

Sur un jeu “bienveillant” l’autre joueur va vous donner des indications. Au delà même du simple fait de confirmer que l’on peut développer une scène, il peut vous inciter à y aller plus fort (ce que vous n’auriez pas osé), plus fort, encore plus fort, à carrément passer à de l’agression physique en jeu.

En clair, le safeword “vas-y continue” vous permet d’aller dans toute la palette d’émotions et de réactions, en y allant progressivement. Il permet de la nuance, et de la variation, de l’intensité. Comme dit précédemment, il ne s’agit pas de nier son jeu, mais de le moduler.

Si vous vous lancez dans une série d’insultes violentes envers un autre personnage en public et qu’il vous signale que ça la met mal à l’aise, vous pouvez passer à des menaces plus voilées et/ou en privée, continuer ce que vous faites mais en diminuant l’intensité, la tension de la scène. De votre côté la réaction est dans la même logique, votre personnage reste cohérent, c’est simplement la violence qui est modulée.

Si votre personnage ne peut modérer son jeu sur cette scène, vous pouvez carrément envisager de rompre la scène. Votre personnage peut décider de claquer les talons et partir, tellement il est furieux. Un joueur mal à l’aise peut également en faire autant pour se protéger. Ca reste dans la diégèse, c’est simple, utilisable, c’est brutal mais en même temps, vous ne vous êtes pas acharné sur un joueur en position difficile.

S’appuyer sur la confiance

Beaucoup de règles, en GN Nordique, fonctionnent sur la confiance et la simplicité.

  • Si tu sens un goût de … c’est que c’est du poison.
  • Si quelqu’un te dit ça, tu dois faire ça mais tu es libre de ton interprétation exacte
  • Si on te braque avec une arme, tu dois…

Nous le savons, c’est terrifiant, faire confiance aux joueurs. On a tous la peur de la triche, la peur de la perte de contrôle, la peur des abus. Nous MJs les premiers. Et la grande terreur des joueurs de jeu compétitif, c’est de savoir si une des mécaniques de bienveillance risque d’être abusée. Pourtant, c’est un cas vraiment très rare, en réalité.

Soyons clair, une personne qui veut tricher trichera. Que ça soit en GN bienveillant ou non. Tout ce qu’on peut faire c’est :

  1. d’une part diminuer les enjeux (rendre la triche inintéressante)
  2. S’assurer que les conséquences soient limitées.
  3. Dans les cas extrêmes protéger les autres joueurs en sortant le joueur malveillant.

Au final, qu’on soit en jeu bienveillant ou non, on a les mêmes réponses.

Insistons tout de même sur les enjeux : le principe même du nordique c’est de faire des GN sans gagnants, des GN où tricher n’a aucun intérêt, et où le fait de voir son personnage souffrir est vu comme quelque chose d’intéressant pour la narration collective.

Comment adapter un jeu pour qu’il soit compétitif mais fairplay ?
Matthew Webb en a parlé ici :

https://nordiclarp.org/2017/02/02/lets-fight-defense-competitive-play-part-1/

Finalement, on est tous des fragiles

C’est le point le plus difficile à comprendre. Nous somme tous des êtres humains. Il n’y a pas que des forts et des faibles. On peut être fort sur une thématique et faible sur une autre, notamment parce qu’elle touche un souci, une histoire personnelle.

Donc plutôt que de faire des listes exhaustives de sujets interdits, il est probablement plus pratique (et sain) de prévoir une mécanique intelligente qui encadre les choses quel que soit le sujet. Bref, commencer à penser en terme de jeu bienveillant.

Au delà de l’éthique humaine, à GNafron nous voulons faire du jeu respectueux ET adulte, et nous croyons que le jeu bienveillant est le meilleur outil qu’on ait pu trouver vers cette maturité.

Une réflexion sur « Vers un jeu adulte et bienveillant »

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